par
J’ai dans mes archives deux ou trois articles qui présentent
au lecteur l’ouvrage important de John Perkins,
« Les Confessions d’un assassin financier ». Un assassin
financier est un agent qui vend un plan économique ou un
grand projet de développement aux dirigeants d’un pays
en voie de développement, en les convaincant que l’emprunt
de grandes sommes d’argent auprès d’établissements
financiers des Etats-Unis en vue de financer ledit
projet permettra d’élever le niveau de vie de leur pays.
L’emprunteur reçoit l’assurance que le projet
augmentera le produit intérieur brut et les
revenus fiscaux, augmentations qui lui permettront
ensuite de rembourser l’emprunt.
Mais le plan est en fait conçu de manière à
surestimer les revenus annoncés, afin que le pays
ainsi endetté ne puisse payer le capital emprunté
et les intérêts. Ces plans reposent, pour reprendre les
termes de Perkins, sur « des analyses financières
déformées, des projections exagérées et une comptabilité
falsifiée ». Et si l’interlocuteur n’est pas dupe, l’affaire se
conclut à coup de « menaces et [de] pots-de-vin ».
Etape suivante de la supercherie : le Fonds monétaire
international entre en scène. Il explique alors au pays endetté
que lui, le FMI, sauvera sa notation financière en lui
prêtant l’argent grâce auquel il pourra rembourser ses
créditeurs. Mais il ne faut pas y voir une quelconque
forme d’aide : au lieu de devoir de l’argent aux
banques, le pays doit simplement de l’argent au FMI.
Pour rembourser sa dette, il doit alors consentir à un plan
d’austérité et accepter de vendre des ressources
nationales à des investisseurs privés. Par austérité,
il faut entendre : réduction des retraites, des
services sociaux, des emplois et des salaires, les
économies de budget réalisées servant à rembourser
le FMI. Quant à la privatisation, elle consiste
en la vente des infrastructures publiques et des
ressources pétrolières et minérales, toujours pour
rembourser le FMI. En outre, l’accord impose souvent
un engagement à se ranger aux côtés de Washington
lors des votes à l’ONU et d’accepter l’installation de
bases militaires étatsuniennes.
De temps à autres, le dirigeant d’un pays refuse le plan
ou les mesures d’austérité et de privatisation. Si les
pots-de-vin ne marchent pas, les Etats-Unis dépêchent
alors les chacals : des tueurs qui éliminent l’obstacle
au processus de pillage.
Le livre de Perkins a fait sensation. Il montrait que
l’aide que les Etats-Unis prétendaient apporter à des
pays plus pauvres n’était qu’un prétexte dissimulant des
manœuvres pour piller ces mêmes pays. L’ouvrage s’est
vendu à plus d’un million d’exemplaire et est resté 73
semaines sur la liste des meilleures ventes du New York Times.
Il a aujourd’hui fait l’objet d’une réédition augmentée de
14 chapitres et d’une liste de 30 pages répertoriant
les activités des « assassins » entre 2004 et 2015.
New Confessions Economic Hit Man
Perkins y explique que, malgré ses révélations, la
situation est pire que jamais et s’est même étendue au
monde occidental. Les populations de l’Irlande, de la
Grèce, du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie
et des Etats-Unis eux-mêmes sont maintenant
victimes des pillages orchestrés par les assassins
financiers.
L’ouvrage de Perkins montre que les Etats-Unis n’ont
d’« exceptionnel » que la violence débridée qu’ils
exercent contre ceux qui se mettent en travers de
leur route. L’un des nouveaux chapitres raconte
l’histoire de France-Albert René, le présiden
t des Seychelles, qui menaçait de révéler l’éviction
illégale et inhumaine des habitants de Diego Garcia
par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Washington
comptait en effet transformer l’île en base aérienne
à partir de laquelle elle pourrait bombarder le
s pays réfractaires du Moyen-Orient, d’Asie et d’
Afrique. Les Etats-Unis envoyèrent une équipe de
chacals assassiner le président des Seychelles, mais
le plan fut déjoué. Tous les tueurs, sauf un, furent
capturés, jugés et condamnés à la peine capitale ou à
la prison, mais un pot-de-vin de plusieurs millions de
dollars versé à René leur permit de retrouver la liberté.
Le président seychellois avait quant à lui reçu le message,
et il rentra dans le rang.
Dans l’édition originale de son livre, Perkins raconte
comment les chacals ont planifié des accidents
aériens pour se débarrasser du trop peu docile
président du Panama, Omar Torrijos, et du tout aussi
réfractaire président de l’Equateur, Jaime Roldós
Aguilera. Quand Rafael Correa est devenu président
de l’Equateur, il a refusé de payer certaines
dettes illégitimes amoncelées sur le dos de l’Equateur,
a fermé la plus grande base militaire étatsunienn
e d’Amérique latine, a imposé la renégociation
des contrats d’exploitation pétrolière, a ordonné à
la banque centrale d’utiliser des fonds mis en dépôt dans
des banques des Etats-Unis pour financer des projets
nationaux et s’est constamment opposé au contrôle
hégémonique de Washington sur l’Amérique latine.
Correa faisait ainsi figure de candidat tout désigné au
renversement ou à l’assassinat. Cependant, Washington
venait juste de fomenter un coup d’Etat militaire
pour renverser le président démocratiquement élu du
Honduras, Manuel Zelaya, dont les politiques
privilégiaient le peuple hondurien plutôt que
des intérêts étrangers. Craignant que deux
coups d’Etat militaires successifs dirigés
contre des présidents réformistes ne semblent
suspects, la CIA se tourna vers la police
équatorienne pour se débarrasser de Correa.
Menée par un diplômé de l’Ecole militaire des
Amériques [1], la police tenta de renverser le
président équatorien, mais l’initiative fut matée
par l’armée. Cependant, Correa avait reçu le
message : il fit marche arrière sur ses
politiques à l’égard des compagnies pétrolières
des Etats-Unis et annonça la mise aux enchères
de vastes portions de la forêt tropicale équatorienne
à ces mêmes compagnies. Il ferma également la
Fundacion Pachamama, une organisation qui luttait pour
protéger la forêt tropicale équatorienne et les populations
indigènes, et avec laquelle Perkins s’était associé
après avoir quitté ses fonctions d’assassin financier.
Cependant, en matière de pillage, les banques occidentales
soutenues par la Banque mondiale sont bien pires que
les compagnies pétrolières et forestières. Perkins
explique ainsi que « ces trente dernières années,
soixante des pays les plus pauvres au monde ont
versé quelque 550 milliards de dollars en
remboursement d’un capital emprunté de
540 milliards et des intérêts associés, et
doivent encore la somme monstre de 523
milliards de dollars. Les dépenses liées au
remboursement de la dette dépassent celles
consacrées à la santé et à l’éducation dans ces pays,
et représentent 20 fois le montant des aides annuelles
qu’ils reçoivent de l’étranger. En outre, les projets de
la banque mondiale ont des répercussions perverses
jamais évoquées sur certaines des populations
les plus pauvres de la planète. On estime ainsi qu’
au cours de la dernière décennie, ces plans
on chassé de chez eux quelques 3,4 millions
de personnes. Les gouvernements de ces pays battent,
torturent et exécutent les opposants aux projets de la
banque mondiale ».
Perkins évoque encore la façon dont Boeing a floué les
contribuables de l’Etat de Washington. A coups de lobbying,
de dessous-de-table et de menaces de délocalisation
de ses sites de production vers un autre Etat, Boeing a
réussi à obtenir un allégement fiscal de la législature
d’Etat. Quelques 8,7 milliards de dollars sont ainsi
restés dans les caisses du groupe au lieu d’être consacrés
à la santé, à l’éducation ou à d’autres services sociaux.
Les aides massives votées en faveur des grandes entreprises
représentent une autre forme d’extraction de rente et
d’activité des assassins économiques.
Perkins a la conscience lourde et souffre encore
de son rôle en tant qu’assassin économique pour l’empire
du mal, lequel s’attelle aujourd’hui à déposséder
les citoyens des Etats-Unis. L’auteur a fait son possible
pour se racheter, mais souligne que le système
d’exploitation s’est multiplié de nombreuses fois,
jusqu’à devenir si répandu qu’il n’a même plus besoin
d’être caché. Il écrit ainsi :
« L’un des changements majeurs observés dans le
système des assassins économiques est qu’aujourd’hui
il est également à l’œuvre aux Etats-Unis
et dans d’autres pays économiquement développés.
Il est partout. Et il existe de nombreuses autres variantes
de chacun de ces instruments. Il y a des centaines de
milliers d’autres assassins économiques dispersés dans
le monde. Ils ont créé un véritable empire planétaire
et œuvrent aussi bien au grand jour que dans l’ombre.
Ce système est aujourd’hui si largement et si
profondément établi qu’il est devenu la façon
normale de faire des affaires et que la plupart des
gens n’y voient plus rien d’alarmant ».
Les populations ont à tel point été saignées
à blanc par les délocalisations d’emplois et
l’endettement, que la demande des consommateurs
ne permet plus de faire de profits. Le capitalisme
a donc entrepris d’exploiter le monde occidental
lui-même. Face à la montée des résistances, le
système des assassins économiques s’est doté
d’armes telles que « le PATRIOT Act, la militarisation
des forces de police, un vaste arsenal de nouvelles
technologies de surveillance, l’infiltration et le
sabotage du mouvement Occupy, ainsi
que le développement spectaculaire des prisons
privées ». Le processus démocratique a été dévoyé
par l’arrêt Citizens United [2] de la Cour suprême et
d’autres décisions judiciaires, mais aussi du fait de
comités d’action politiques financés par des grandes
entreprises, ou d’organisations comme l’American
Legislative Exchange Council [3], financée par le
« One Percent » [4]. Des armadas d’avocats,
de lobbyistes et de consultants en stratégie sont
engagées en vue de légaliser la corruption, tandis que
des journalistes de petite vertu font des heures
supplémentaires pour convaincre une opinion naïve
que les élections sont autre chose qu’une mise en
scène et témoignent du bon fonctionnement de la
démocratie.
Dans un article paru le 19 février 2016 dans OpEdNews,
Matt Peppe rapporte que la colonie étatsunienne
de Porto Rico est actuellement envoyée droit à la ruine afin
de satisfaire ses créditeurs étrangers.
Puerto Ricans Suffer as Creditors Feast on Debt Colony
By Matt Peppe, OpEdNews Op Eds 2/19/2016]
L’aéroport de l’île a été privatisé, de même que les
principales voies routières, qui ont été cédées pour un bail
de 40 ans à un consortium formé par un fonds
d’investissement d’infrastructure détenu par Goldman
Sachs. Les Portoricains paient désormais des entreprises
privées pour utiliser des infrastructures construites
avec l’argent des contribuables. Récemment, les
taxes sur les ventes portoricaines ont été augmentées
de 64 %, pour atteindre 11,5 %. Or une hausse des
taxes sur les ventes équivaut à une hausse de l’inflation
et entraîne une baisse des revenus réels.
Aujourd’hui, la seule différence entre le capitalisme
et le gangstérisme est que le capitalisme a réussi
à légaliser ses activités d’extorsion et peut
ainsi imposer des négociations plus dures
que la Mafia.
Perkins montre que cet empire du mal enserre le
monde dans l’étreinte d’une « économie de mort ».
Sa conclusion est que nous avons besoin d’une révolution
pour « enterrer l’économie de la mort et donner le jour
à l’économie de la vie ». N’attendez aucune aide
de la part des politiciens, des économistes
néolibéraux et des journalistes vendus.
Paul Craig Roberts
Notes
[1] Ecole militaire gérée par le département de la
Défense des États-Unis et dispensant une formation aux
forces militaires et de police d’Amérique latine. Elle
s’est notamment rendue célèbre pendant la guerre
froide pour son enseignement des techniques de
contre-insurrection, principalement dans une optique
de lutte contre le communisme, et pour avoir
formé de nombreux militaires ayant pris part ensuite
à des coup d’Etat dans la région (toutes les notes sont
du traducteur).
[2] L’arrêt Citizens United v. Federal Election
Commission rendu en 2010 par la Cour suprême
des Etats-Unis autorisait le financement des campagne
s électorales par les entreprises.
[3] Organisme conservateur à but non lucratif, composé
de législateurs et de représentants du secteur privé, et
visant à mettre en place des législations en faveur du
libéralisme à l’échelle des Etats.
[4] Comprendre, les 1 % des habitants les plus riches
aux Etats-Unis, référence notamment au slogan
« We are the 99% » (« Nous sommes les 99 % ») du mouvement Occupy Wall Street.
Original en anglais : « The Evil Empire Has The World In A Death Grip »
— Paul Craig Roberts
Traduit de l’anglais pour El Correo de la dispora par : Arnaud Devin
source: http://www.elcorreo.eu.org/L-etreinte-mortelle-de-l-empire-du-mal-sur-le-monde-Paul-Craig-Roberts
http://reseauinternational.net/letreinte-mortelle-de-lempire-du-mal-sur-le-monde/
Géopolitique, voir